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Ville : un modèle à repenser face aux canicules et aux inondations

Vagues de chaleur, pluies extrêmes, inondations : voilà les défis climatiques auxquels sont confrontées les villes. Un sujet d’autant plus préoccupant que 8 Français sur dix y habitent. Aménagement, choix des matériaux, végétalisation… De profonds chantiers sont à engager de façon urgente pour garder nos zones urbaines, vivables et sûres, à l’avenir.

Chantier d'aménagement urbain Clichy-Batignolles

COMPRENDRE

Surchauffe urbaine : pourquoi il fait plus chaud en ville

L’effet « îlot de chaleur urbain »

Avec le changement climatique, les vagues de chaleur et les canicules seront de plus en plus fréquentes, intenses, durables et précoces (intervenant en 2022 dès la mi-juin : un record). Or, la ville est devenu un milieu particulièrement vulnérable à la chaleur. Avec le réchauffement climatique, il y fera donc encore plus chaud. En cause : l’effet d’« îlot de chaleur urbain » (ICU).

Les mécanismes sont désormais connus : très minérales et denses, les constructions stockent la chaleur le jour et la restituent la nuit, tandis que leur configuration empêche l’air de circuler. La forte activité humaine génère aussi des flux de chaleur. La faible présence du végétal et de l’eau peinent à rafraîchir l’air ambiant.

Résultat, la température est plus élevée en ville qu’à sa périphérie. Le phénomène s’accentue la nuit, alors que dans environnement proche, la température baisse de quelques degrés supplémentaires, une fois le soleil couché.

Prenons l’exemple de Paris : on y observe des différences de températures nocturnes de 3 °C en moyenne annuelle, entre Paris et les zones rurales voisines (comme le Vexin ou les forêts de Rambouillet et Fontainebleau). Ces différences peuvent atteindre jusqu’à +10 °C en cas de situation anticyclonique par vent faible et ciel clair, comme les canicules. Durant celle d’août 2003, un écart de 4 °C à 8 °C avait été observé (source : Agence parisienne du climat).

Pourquoi certaines villes chauffent plus que d’autres ?

Une étude internationale montre que la disposition des immeubles conditionne la température nocturne des villes. Les villes dont les rues sont en grille (Manhattan, Chicago) emmagasinent plus de chaleur que des villes "désordonnées" comme Londres ou Rome, plus anciennes. La chaleur se retrouve piégée dans les rues droites et perpendiculaires dont les immeubles se renvoient la chaleur en face à face. Avec un effet accru quand leur surface est en verre. Au-delà de la configuration en grille, la largeur de la rue et la hauteur des bâtiments produisent un effet canyon.

De lourdes conséquences, d’abord pour la santé

Lors des pics de canicule, l’inconfort est réel. Une nuit à + 20° empêche le corps de récupérer. La chaleur accablante peut provoquer des coups de chaud, des syncopes, voire un épuisement des plus fragiles (personnes âgées, nourrissons). En France, la canicule de 2003 est à l’origine d’une surmortalité de 15 000 personnes (source Institut de veille sanitaire).

La surchauffe renforce aussi la pollution et les problèmes respiratoires, irritations oculaires, etc.. Autres impacts négatifs : la productivité au travail baisse, comme l’attractivité des villes. Tandis que la demande en énergie (climatiseur) augmente, comme celle de l’eau (pour se rafraîchir et entretenir les espaces verts). Selon un expert du Réseau de transport d'électricité (RTE), « pour chaque degré de température au-dessus de 25 degrés, la France consomme environ 250 à 300 mégawatts supplémentaires, ce qui représente grosso modo la consommation de la ville de Nantes ».

Lire aussi : le dossier thématique Impact Canicule

L’autre grand risque : les inondations

Selon le dernier rapport du Giec (2022), en raison du changement climatique, les inondations par ruissellement, débordement d’un cours d’eau ou submersion augmenteront dans les villes de France (sauf en Méditerranée où les inondations par débordement pourraient diminuer). Ces phénomènes pourraient avoir de graves conséquences, notamment sur les infrastructures de transport, d'égouts et d’acheminement de nourriture. Le danger : que nos systèmes de drainage et d'égouts ne puissent résister à de fortes pluies et à des inondations.

4 types d’inondation vont se renforcer dans les années à venir :
  • Débordement : un cours d’eau déborde de son lit habituel, de façon lente ou rapide ;
  • Ruissellement : les eaux de pluies ne parviennent plus à s’infiltrer dans le sol et s’écoulent dans les rues hors des réseaux hydrographique et d’évacuation des eaux pluviales.
  • Remontée de nappes : la nappe phréatique remonte à la surface du sol.
  • Submersion : la mer submerge les cotes (durant quelques heures ou quelques jours), lors d’une météo ou de conditions océaniques défavorables.

En France métropolitaine, le risque inondation est le premier risque naturel par les dommages qu’il provoque, le nombre de communes et populations concernées, l’étendue des zones inondables.

Lire aussi : le dossier Thématique Impact Inondation

Quels territoires sont concernés ?
Carte de france
Typologie de la vulnérabilité des territoires face au risque climatique, 2016. Source : MTE, SDES, 2019

AGIR

Les collectivités sont en première ligne pour adapter leurs villes à ces bouleversements climatiques. Elles peuvent agir à travers leurs projets de planification et d’aménagement. Au coeur des solutions, la place de la nature est à repenser. Désimperméabiliser, végétaliser… permettra tout à la fois d’atténuer les effets des fortes chaleurs, de limiter les inondations par ruissellement et de stocker l’eau face au risque de sécheresse.

Rafraîchir les villes : une réponse multiple

Repenser la place de la nature et de l’eau

Une des clés pour faire baisser les températures est de végétaliser. Tous les espaces de nature en ville, bois, parcs, jardins (publics, privés ou partagés) contribuent à rafraîchir l’espace urbain. Dans la ville de Göteborg (Suède), une différence de 5,9° de température a été observée entre un parc et son environnement construit. La végétation agit de deux manières : son ombre peut faire baisser jusqu’à 7 ° la température des surfaces protégées (source : Etude Cooltrees, sur les effets des arbres sur le microclimat urbain). Sa transpiration (évapotranspiration) apporte aussi une sensation de fraîcheur.


Jérôme champres

Un arbre équivaut à cinq climatiseurs allumés pendant vingt heures. Jérôme Champres | expert écologie urbaine, Cerema

Les toitures végétales peuvent aussi améliorer le confort des logements. Leur efficacité dépend du type de plantes, de l’épaisseur du sol et de l’irrigation. Il faut en effet que la végétation soit dense et que le toit soit bien humide pour que cela soit réellement efficace. A ce titre, consulter les recommandations de l’ADIVET.

Lire aussi : planter sans se planter

En complément du végétal, il s’agit aussi de réintroduire l’eau : tout plan d’eau, fontaine, bassin, cours d’eau, aide à faire baisser la température de quelques degrés. Attention toutefois aux solutions trop gourmandes en eau alors que cette ressource vient à manquer en période de sécheresse. Ré-ouvrir des rivières en ville, quand c’est possible, est aussi une solution de plus en plus prisée par les collectivités.

Climatiser ? Une fausse bonne idée

Pour lutter contre la chaleur, chacun peut légitimement être tenté d’installer la climatisation. Malheureusement, cela augmente nos consommations d’énergie et amplifie le réchauffement climatique. Surtout, si tout le monde climatise, les rejets de chaleur dans les rues vont encore plus réchauffer l’air ambiant. Un cercle vicieux s’enclenche. A n’utiliser donc que si indispensable.

Rénover et construire autrement

En France, l’urbanisme des villes n’a pas été pensé pour les fortes chaleurs. Cela ne veut pas dire qu’il faille démanteler les villes existantes pour autant. A 80 %, il faudra faire avec le bâti existant. Les solutions sont à trouver du côté de la science des matériaux et de l’ingénierie en s’inspirant de l’architecture bioclimatique. L’enjeu : favoriser l’inertie thermique, réduire les rayonnements et les transferts de chaleur entre immeubles.

Tout repeindre en blanc, la solution miracle ?

Les revêtements clairs à fort pouvoir réfléchissant sont une piste intéressante. L’ADEME a observé qu’à Athènes, en passant d’un revêtement foncé asphalté (albédo 0,04) à un revêtement blanc (albédo 0,55) pour les sols, la température a baissé de 4°C (L’albédo est la réflexion du rayonnement solaire qui varie selon la surface et la couleur concernées). Toutefois, attention là encore à certains effets contre-productifs. En plus de demander un entretien régulier pour rester clairs, les sols et rez-de-chaussée de façade peuvent éblouir le passant, accentuer la réverbération le jour dans les rues « canyon » et donc le stockage de chaleur. De même, la pratique dite du « cool roof » (repeindre son toit en blanc) demande de bien se renseigner sur les conditions d’utilisation.

Construire différemment

Au-delà de la rénovation, l’enjeu est de construire de nouvelles villes et des bâtiments adaptés aux températures de demain. La réglementation RE2020 renforce la notion de confort d’été des constructions neuves. Elle fixe un nouvel indicateur, qui mesure la durée d’inconfort : le « degré-heure ». Si le projet dépasse le seuil haut, l’équipe doit revoir sa conception. Orienter les bâtiments de façon à faire circuler l’air est aussi une solution. A Marseille, le quartier EuroMéditerranée a été bâti de telle façon que l’orientation des rues rafraîchit la ville en été grâce à la brise de mer, mais sans laisser passer le froid du mistral l’hiver.

Prévenir les inondations, un bouquet de solutions

Quelles sont les principes d’aménagement possibles ?

Les collectivités disposent de plusieurs moyens d’actions, pour aménager les villes de façon plus adaptée au risque inondation actuel et futur, tels que :

  • Donner ou redonner sa place à l’eau : réaliser des aménagements qui vont préserver l’écoulement naturel d’un cours d’eau, voire réduire tout obstacle à l’eau (comme un bâtiment) qui pourrait aggraver l’inondation.
  • Inciter à la conception de bâtiments adaptés à l’inondation : à travers les documents d’urbanisme, autoriser uniquement la construction de bâtiments qui vont respecter des règles permettant de les adapter aux inondations actuelles, voire futures. Dans le cas d’une stratégie de type « résister », il s’agit de surélever les constructions pour des évènements plus importants, ou bien de recourir à des constructions flottantes ou amphibies.
  • Inclure un système de protection de l’aménagement, tel que des superdigues, ou des digues multifonctionnels. De tels systèmes doivent être conçus en prenant en compte un aléa inondation futur plus important, tout en ayant bien conscience que cela ne protégera peut-être pas totalement. Une digue multifonctionnelle peut s’avérer intéressante par son caractère modulable, comme par exemple le fait de rajouter un bâtiment sur une digue existante, permettant d’anticiper sur des inondations plus importantes. Notons que les solutions comme les digues sont à prendre avec prudence, dans la mesure où elles peuvent créer l’illusion chez les habitants d’être protégés, diminuant la culture du risque ;
  • Localiser les activités et les infrastructures en cohérence avec l’aléa inondation actuel et futur. Cela peut impliquer une délocalisation partielle ou totale de certaines activités. De telles projets, pouvant s’apparenter à une désurbanisation, sont possibles, mais prennent du temps, compte tenu des procédures réglementaires et de la nécessaire concertation. Une modification des usages est également envisageable, comme par exemple des bureaux en rez-de-chaussée.

Quel rôle pour les solutions d’adaptation fondées sur la nature ?

Selon les cas, ces solutions d’adaptation fondées sur la nature vont consister par exemple à planter des arbres, réaliser des toitures végétalisées, des noues, des jardins de pluies (pour absorber les eaux de pluies et limiter le risque de ruissellement), remettre à ciel ouvert certains cours d’eau (pour réduire leur risque de débordement). Aucune de ces solutions n'est généralisable. Toutes doivent faire l’objet d’études techniques pour évaluer leur pertinence au regard du risque inondation.

Ville
Cœur d’îlot végétalisé de la ZAC de Bonne, équipé de puits d’infiltration permettant de récupérer les eaux pluviales du parc plutôt que de les rejeter dans le réseau d’assainissement. © Cerema

 

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